Être chocolat
Rome, septembre 2012.
L’industrie agro-alimentaire a appris à manipuler nos sens : exhausteurs de goût, épaississants, colorants et arômes artificiels trompent régulièrement nos yeux et notre palais. Elle a ainsi défini de nouveaux standards sur l’aspect des produits : la glace à la fraise doit être d’un rose pétillant, la vanille jaune clair avec des petits points noirs et la pistache d’un vert pastel ou franc suivant le dosage.
Alors, lorsque l’amateur de glaces arrive en Italie, le pays capable d’ouvrir une université de la glace, il cherche à découvrir toutes sortes de gelati artisanales. Mais la perte des repères habituels peut amener au vertige : il n’y a plus une glace au chocolat, mais quatorze, exhibant des nuances de marron profond, un aspect brillant ou plus mat. Aussi, pour choisir, deux modes d’action sont disponibles.
Le gourmand téméraire choisira de demander au vendeur, dans un italien approximatif, de goûter deux ou trois de ces délices : telle une dégustation de vin, il fermera les yeux, mettra la petite cuillère en bouche et découvrira que si le paprika est présent d’entrée, le piment apparaît en arrière-goût et laisse la bouche en feu. Néanmoins, sans risquer la rupture de l’interaction, il paraît difficile de toutes les essayer avant de choisir.
Le voyageur prudent désignera les étiquettes placées face aux récipients, écrites en italien et parfois traduites en anglais, et retranscrira ses expériences antérieures par ce canal : j’aime le chocolat noir à 85% donc la glace qui en est tirée doit être bonne, mais peut-être moins que la mono-origine à 71% si exotique ? L’écrit n’est plus ici qu’une bouée de secours, un médiateur fragile entre expériences gustatives passées et à venir.